Indignations… Occupations… Insurrections…

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Réfractions 28

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Description

LES MOUVEMENTS D’OCCUPATIONS D’ESPACES PUBLICS QUI se sont multipliés depuis l’année dernière dans diverses villes d’Europe et des États-Unis ont certainement bénéficié de l’élan initié par les révoltes dans les pays arabes, et on peut trouver entre les deux groupes d’événements des points communs mais aussi de grandes différences. Parmi les points communs, le plus manifeste est sans doute l’utilisation des réseaux de communication par Internet, qui ont facilité une mobilisation rapide et étendue. Dans les deux cas aussi, on a constaté une auto-organisation et un refus de toute prise de commandement par des associations ou des individus. Le caractère clairement libertaire des pratiques d’assemblée et de décisions est très encourageant, même si les antécédents anarchistes sont complètement ignorés et non revendiqués explicitement. Du côté des différences, il faut souligner d’abord que dans les pays arabes le but immédiat était le renversement de dictatures, but éminemment rassembleur et concret ; à l’opposé, les mouvements des « indignés » se caractérisent par la multiplicité et l’indétermination des buts, l’unification se faisant seulement par l’identification des ennemis communs : les financiers, les grands possédants, les politiques qui sont à leurs ordres. En outre, dans les pays arabes, une bonne partie des activités étaient paralysées par les grèves et les manifestations de masse, tandis que dans les pays occidentaux les activités, notamment économiques, se poursuivent normalement en dépit des mobilisations, qui restent minoritaires. Dans les deux cas, on peut cependant s’interroger sur les résultats : une fois chassé le tyran, que va-t-on mettre à sa place, à quel point le changement pourra-t-il se faire en profondeur ? Mais la question est bien plus embarrassante ici : sur quoi peut déboucher une mobilisation, aussi réussie soit-elle au plan organisationnel et pratique, si elle n’a pas d’objectif réalisable à court terme ? Le fait de résister, de construire, de sentir ensemble une force a des effets durables sur les personnes et les relations humaines, même si le mouvement se dissout : cela donne confiance dans le fait qu’une large mobilisation est possible, et qu’elle peut atteindre des objectifs et faire vivre d’autres expériences. Mais peut-on espérer en attendre plus, dans le sens d’un réel changement de société ?

Dès lors s’ouvre une réflexion fondamentale sur l’inscription de ces mouvements dans la durée et sur le rapport entre la discontinuité de leurs surgissements et la continuité du travail militant en vue d’un changement radical. En Espagne, une des manières de durer a été de décentraliser l’occupation vers les quartiers des villes, où elle pouvait consister plus facilement à se réapproprier des fonctionnements quotidiens. Le rôle des anarchistes dans cette situation peut être (et c’est le cas à Barcelone et à Madrid) d’inciter à une reprise en mains par le bas de l’organisation de nos vies (logements, alimentation, aménagement des espaces publics, etc.) et à une fédération des unités locales. En Grèce, où l’effondrement économique a provoqué un véritable problème de survie, on a vu se développer spontanément des réseaux de troc et de prêts sans intérêts, des occupations, y compris d’un hôpital, des potagers collectifs tant ruraux qu’urbains. D’autre part, nous pouvons considérer l’imprévisibilité des mobilisations comme un fait positif, en comprenant qu’il ne sert à rien de chercher à les susciter mais que nous devons continuer nos activités constantes d’agitation et de propositions alternatives, qui de temps en temps convergeront avec des surgissements spontanés imprévus.

Une de nos difficultés à intervenir dans ce type de mouvements très diversifiés réside dans le fait que, en tant qu’anarchistes, nous avons une proposition de société alternative, mais qu’elle n’est pas actuellement audible, souhaitable ou crédible pour la plupart des acteurs des mobilisations. Nous maintenons une mémoire des luttes passées, mais nous ne voyons pas comment elle peut être utile et influencer les luttes éparses et ponctuelles. Du point de vue théorique, il est nécessaire d’admettre que le sens global des mouvements d’une époque n’est donné qu’a posteriori, et qu’il ne peut donc servir de guide des actions dans le présent. Nous pouvons nous demander comment les idées révolutionnaires font leur chemin dans une société, comment un nouvel imaginaire remplace l’ancien, puisque cela s’est effectivement passé historiquement à plusieurs reprises, mais des siècles de réflexion à ce sujet n’ont pas abouti à définir l’ensemble des facteurs convergents nécessaires pour qu’une étincelle vienne mettre le feu aux poudres.

Que ce soit sous l’effet de la misère ou de la peur de la misère, de l’insatisfaction politique ou de l’indignation morale, le désir que les choses changent est puissant et largement répandu, même si ce qui est désiré n’est encore que peu clairement exprimé et mis en chantier. Les anarchistes peuvent dès lors agir à plusieurs niveaux : en tant que participants aux mouvements, proposer et initier des prises d’autonomies locales et chercher à les fédérer ; en tant qu’héritiers d’une mémoire de luttes, proposer des services tels que biblio- thèques, récits et analyses ; en tant que porteurs d’une des utopies possibles, continuer à la jeter au vent sans trop se préoccuper de qui voudra l’attraper au vol.

La commission

 

Dossier

« La modernité à l’assaut du monde arabe », Pierre Sommermeyer
« Le temps saccadé des révoltes », Tomas Ibañez
« Du nécessaire à l’indispensable, ou de l’indignation à l’insurrection », Bernard Hennequin.
« De possibles futurs, depuis toujours présents », Alain Thévenet
« Les brèches de l’Histoire », Daniel Colson
« Êtres libres pour la libération », Anselm Jappe

Pour continuer le débat

« Liberté, égalité, urbanité : La rue en balade, entre Venise et Chicago », Sylvia Rüppelli

Transversales

 « Gandhi : de l’antilibéralisme à l’anarchisme non-violent », Manuel Cervera-Marzal.
 « Art112 “Plasticiens de l’instant” », Entretien avec André Bernard. Anarchives

«  Les origines de l’Internationale antiautoritaire », Max Nettlau.

Courrier des lecteurs

 « “Le mythe de la finitude terrestre.” Réponse à P. Pelletier », José Ardillo…….

Les livres, les revues, etc